Souveraineté sanitaire africaine et intégration régionale : enseignements du Sommet médical de Casablanca 2025

L’édition 2025 du Morocco Medical Expo à Casablanca, sans précédent par son ampleur, illustre la façon dont les États africains articulent des ambitions renouvelées de souveraineté sanitaire avec une coopération sectorielle nord-africaine toujours plus dense. Se fondant sur les évolutions les plus récentes en matière de politiques publiques, de diplomatie et de finance, cet article examine la transition du continent d’une logique d’urgence vers la consolidation institutionnelle en santé, commerce, énergie et recherche, tout en évaluant les implications géopolitiques pour les partenaires européens et au-delà.

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Photomontage réalisé par AD Network Design Team

Ouvert le 15 mai 2025, le Morocco Medical Expo de Casablanca a réuni plus de dix-huit mille délégués issus de soixante-treize pays, constituant le plus vaste rassemblement médical panafricain à ce jour. Au-delà des stands d’exposition, l’événement met en lumière deux dynamiques majeures : d’une part, la quête d’une authentique souveraineté sanitaire africaine — entendue comme la capacité durable du continent à rechercher, produire et distribuer équitablement les produits de santé essentiels — ; d’autre part, l’accélération concomitante d’une coopération sectorielle en Afrique du Nord dans les domaines du commerce, des infrastructures et de l’énergie. Ensemble, ces tendances donnent à l’injonction post-pandémique de « reconstruire en mieux » une nouvelle inflexion : « construire ensemble », au sein des régions autant qu’entre l’Afrique et ses partenaires externes.

Un tournant pour la souveraineté sanitaire africaine

Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) a qualifié 2025 de « nouvelle aube pour la sécurité sanitaire » lors de son Forum sur la fabrication pharmaceutique tenu ce mois-ci, soulignant la nécessité stratégique d’une production vaccinale locale et de la consolidation des cadres réglementaires. Dans cette même logique, le Programme de transfert de technologie ARNm coordonné par l’OMS, élargi le 1ᵉʳ mai 2025 à quinze fabricants partenaires, marque un progrès tangible, passant de pôles pilotes à un réseau de production interrégional. Ces initiatives répondent implicitement aux inégalités vaccinales révélées par la crise de la Covid-19, période durant laquelle les pays africains restaient en queue de file de l’approvisionnement mondial et furent contraints d’envisager l’autonomie continentale non comme une aspiration, mais comme une nécessité existentielle.

De la réponse d’urgence à la production durable

Depuis la fin de la phase aiguë de la pandémie, l’Afrique a mobilisé des financements mixtes ciblés pour ses producteurs locaux, ajusté les flexibilités de propriété intellectuelle au sein du Conseil des ADPIC et créé le Partenariat pour la fabrication de vaccins en Afrique. Le rapport d’étape de mars 2025 de l’Africa CDC recense des engagements de capitaux dépassant 1,4 milliard de dollars américains pour des sites au Sénégal, au Rwanda, en Afrique du Sud et en Égypte, chacun visant à alimenter les marchés régionaux en vaccins de routine et en plateformes ARNm de nouvelle génération. Parallèlement, les États membres de l’OMS ont finalisé en avril un projet d’accord sur les pandémies qui sera soumis à l’Assemblée mondiale de la santé le 19 mai 2025, intégrant des obligations d’accès équitable et de transfert de technologies. Ces avancées suggèrent une normalisation progressive d’une production souveraine envisagée désormais comme pratique courante plutôt que comme dispositif de crise.

Des architectures réglementaires et financières en gestation

La maturité réglementaire progresse de concert. L’Agence africaine des médicaments (AMA), dont le traité est entré en vigueur en 2023, déploie actuellement un processus d’évaluation à l’échelle du continent, réduisant ainsi les coûts de transaction pour les fabricants sollicitant plusieurs autorisations de mise sur le marché. Sur le plan financier, la décision de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, le 15 mai 2025, d’admettre le Nigéria, la Côte d’Ivoire et le Bénin comme pays bénéficiaires ouvre de nouveaux bassins de capitaux concessionnels pour les technopôles de santé et les infrastructures associées. Les gouverneurs de la Banque africaine de développement, réunis prochainement à Abidjan, examineront une proposition visant à consacrer cinq pour cent des prêts souverains du Groupe au nexus santé-sécurité industrielle, en écho au programme de corridors du même Groupe qui lie déjà projets de transport, d’énergie et de commerce. Ces convergences signalent que la souveraineté sanitaire n’est plus traitée en silo ; elle s’inscrit désormais dans les stratégies macro-développementales.

Le maillage élargi de la coopération sectorielle nord-africaine

Parallèlement à la montée en puissance de la politique de santé, les États d’Afrique du Nord approfondissent leur collaboration transfrontalière dans l’énergie, la recherche et la gouvernance migratoire. La Libye, l’Algérie et la Tunisie ont officialisé en mars 2025 un plan de réseau d’échange électrique de 1 500 MW, destiné à harmoniser la gestion des pics de charge et à réduire les redondances de production. Sur la façade méditerranéenne, l’Algérie et l’Italie ont relancé, le mois dernier, les discussions sur le câble sous-marin « Medlink » qui devrait exporter 2 000 MW d’électricité verte vers l’Europe, illustrant l’ambition nord-africaine de valoriser son potentiel renouvelable tout en contribuant aux objectifs de décarbonation de l’UE. Simultanément, la Grèce et l’Égypte ont signé, le 10 mai 2025, un accord portant sur un interconnecteur sous-marin de 3 000 MW soutenu par un financement européen, soulignant l’importance géopolitique d’itinéraires énergétiques diversifiés.

Connectivité énergétique et transition verte

Ces interconnexions ne constituent pas de simples projets d’ingénierie ; elles s’inscrivent dans le cadre plus large de la Zone de libre-échange continentale africaine, dont le protocole d’investissement, finalisé en janvier 2025, offre des garanties juridiques aux actifs énergétiques transfrontaliers. Le Maroc, qui se positionne comme un pôle continental d’hydrogène vert, investit parallèlement pour réduire de 20 % son intensité énergétique domestique d’ici 2030, libérant ainsi des capacités d’exportation vers l’Europe et l’Afrique de l’Ouest. Les tendances du financement multilatéral corroborent cet élan : la BAD, la BERD et des fonds privés tels que Meridiam ont mobilisé plus d’un milliard d’euros pour de nouveaux parcs éoliens nord-africains depuis février.

Cadres de collaboration académique et technologique

Au-delà des infrastructures physiques, la coopération en matière de recherche s’élargit. Le 14 mai 2025, la Commission européenne a conclu les négociations visant à associer l’Égypte au programme-cadre Horizon Europe, offrant aux universités égyptiennes un accès direct à 95 milliards d’euros de financements collaboratifs. Cet accord s’articule avec les partenariats de talents européens, qui favorisent la migration circulaire des scientifiques et professionnels de santé nord-africains, susceptibles d’atténuer la fuite des cerveaux chronique du continent tout en répondant au vieillissement démographique européen. Pour le congrès médical de Casablanca, ces synergies se traduisent par l’élargissement des sessions consacrées à la santé numérique et à la médecine régénérative, avec des laboratoires financés par l’UE présentant des travaux conjoints aux côtés d’instituts marocains.

Morocco Medical Expo 2025 : une convergence continentale

Les organisateurs de l’Expo font état d’une hausse de trente-sept pour cent des inscriptions d’exposants par rapport à l’édition 2023, attribuant cet essor à la demande accumulée pour les opportunités de passation dans le cadre des récents mécanismes africains d’achats groupés. Les débats pléniers ont mis en exergue les lignes directrices réglementaires à venir de l’AMA, le réseau de laboratoires de génomique de l’Africa CDC et les dispositions relatives à la propriété intellectuelle de la ZLECAf. Fait notable, des investisseurs de la diaspora africaine au Royaume-Uni et au Conseil de coopération du Golfe ont profité de l’événement pour annoncer des fonds de capital-risque destinés aux jeunes entreprises de technologies médicales à Nairobi et Lagos, signalant que Casablanca devient désormais une porte d’entrée pour l’entrepreneuriat plutôt qu’un simple salon de la commande publique. De son côté, le ministère marocain de la Santé a dévoilé une stratégie nationale visant à attirer la sous-traitance de biothérapies, s’appuyant sur l’infrastructure portuaire du pays et son accès commercial préférentiel à l’Afrique de l’Ouest.

Le rôle du capital privé et des institutions multilatérales

L’accélération des flux de capitaux liés à la santé recoupe le financement des infrastructures au sens large. L’extension de l’adhésion à la BERD pour de nouvelles économies ouest-africaines, une fois finalisée en juillet 2025, donnera accès à des instruments tels que des facilités de co-investissement en fonds propres, du crédit-bail d’équipements verts et des mécanismes de partage des risques pour les pôles pharmaceutiques africains. Parallèlement, le Programme de corridors régionaux de la BAD intègre la logistique de la chaîne du froid dans l’évaluation des projets de transport, garantissant que l’infrastructure d’approvisionnement vaccinal n’est pas traitée a posteriori mais comme paramètre clé de conception. Ensemble, ces interventions visent à dynamiser les marchés financiers domestiques, comme en témoigne la première émission d’obligations vaccins de l’Afrique de l’Ouest, souscrite 2,3 fois en avril.

Diplomatie, géostratégie et gouvernance

Sur le plan diplomatique, les projets énergétiques nord-africains reflètent un changement stratégique : plutôt qu’une dépendance à l’aide bilatérale, les États proposent des actifs bancables en échange de transferts technologiques et d’accès aux marchés. La même logique irrigue les négociations sur la souveraineté sanitaire. Le communiqué d’avril de l’OMS relatif au projet d’accord sur les pandémies souligne que les mécanismes de distribution équitable resteront lettre morte sans bases manufacturières diversifiées. Les négociateurs africains, s’appuyant sur les avancées du hub ARNm, soutiennent que la souveraineté est mutuellement bénéfique : en raccourcissant les chaînes d’approvisionnement, elle réduit les risques systémiques mondiaux, un argument discrètement reconnu par les délégations européennes ayant soutenu l’association de l’Égypte à Horizon Europe.

Risques, équité et cohérence des politiques

Des défis subsistent toutefois. Les projets de réseaux électriques doivent répondre à des normes de synchronisation complexes et peuvent subir des retards liés à l’instabilité politique, comme le souligne le rapport de prospective 2025 de l’Institut GIGA. De même, les ambitions de fabrication vaccinale risquent de s’essouffler sans accords d’achat à long terme ; la fin progressive du dispositif COVAX laisse un vide dans les signaux de demande groupée. Une divergence réglementaire entre l’AMA et les organismes sous-régionaux pourrait générer des coûts de conformité redondants, nuisibles aux petites entreprises. Les politiques migratoires, quant à elles, avancent sur une ligne de crête : les visas de partenariat pour les talents pourraient involontairement accentuer la fuite des compétences des États africains les moins avancés vers leurs voisins plus prospères. Pour les décideurs, maintenir la cohérence entre instruments commerciaux, sanitaires et migratoires constitue donc un impératif.

Vers une souveraineté coproduite

Le Morocco Medical Expo 2025 de Casablanca agit à la fois comme baromètre et catalyseur du paradigme de développement africain en évolution : une souveraineté fondée sur l’interdépendance. Les dirigeants du continent reconfigurent la sécurité sanitaire comme composante intégrale de l’intégration économique, et non comme simple prolongement humanitaire. Ils reconnaissent que réseaux électriques, partenariats de recherche et corridors financiers constituent le tissu conjonctif de la résilience continentale. Pour les partenaires extérieurs, l’enseignent est clair : l’engagement qui privilégie la coproduction plutôt que la charité sera accueilli favorablement ; toute posture moindre risquerait la marginalisation dans une Afrique de plus en plus sûre d’elle-même. À mesure que l’Assemblée mondiale de la santé examine la semaine prochaine l’accord sur les pandémies et que les gouverneurs de la BAD se réunissent à Abidjan, l’élan suscité à Casablanca pourrait se révéler décisif pour traduire les aspirations en engagements contraignants, consolidant ainsi un siècle africain bâti sur la solidarité régionale et la réciprocité mondiale.

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