Blanchiment : comment Bruxelles flambe les comptes de cinq États africains en 2025

La mise à jour du 10 juin 2025 de la « liste noire » anti-blanchiment de l’Union européenne projette l’Algérie, l’Angola, la Côte d’Ivoire, le Kenya et la Namibie sous une surveillance financière maximale. Derrière la sanction, Bruxelles veut forcer des réformes rapides alignées sur les normes du GAFI, au risque de tendre un peu plus la relation euro-africaine.

Jean-Baptiste Ngoma
5 mn de lecture

Une révision alignée sur le GAFI, mais sous haute pression politique

Le 10 juin 2025, la Commission européenne a publié un règlement délégué inscrivant dix nouvelles juridictions à « haut risque », dont cinq africaines – Algérie, Angola, Côte d’Ivoire, Kenya et Namibie – et retirant notamment le Sénégal et l’Ouganda. Cette mise à jour intervient moins de quatre mois après que le Groupe d’action financière (GAFI) a, lui aussi, durci sa liste grise de suivi renforcé. Pour Maria Luís Albuquerque, commissaire aux Services financiers, « identifier et lister les juridictions à risque reste un outil essentiel afin de sauvegarder l’intégrité du système financier de l’Union ».

Algérie et Angola : la rente pétro-gazière, talon d’Achille réglementaire

Alger et Luanda, déjà sous les radars du GAFI depuis octobre 2024, se voient reprocher des registres de bénéficiaires effectifs encore embryonnaires et des contrôles bancaires insuffisants. À Bruxelles, la note interne relève que plus de 30 % des transactions pétro-gazières angolaises transitent encore par des sociétés écrans non déclarées, tandis que l’Algérie peine à faire appliquer les nouvelles sanctions financières ciblées adoptées en novembre 2024.

Côte d’Ivoire et Kenya : hubs régionaux sous pression sécuritaire

Abidjan, qui ambitionne de devenir un centre financier pour l’UEMOA, paie les soupçons de transferts illicites opérés par une diaspora libanaise accusée de financer le Hezbollah, comme l’ont révélé plusieurs enquêtes locales. Nairobi, de son côté, subit les conséquences de l’essor rapide des crypto-actifs : faute de cadre de licence pour les plateformes d’échange, le Kenya est pointé pour « absence de stratégie de poursuites » dans les affaires de blanchiment, un déficit déjà souligné par le GAFI et désormais entériné par l’UE.

Namibie : un cas pilote pour les minerais critiques

Windhoek figure pour la première fois sur la liste noire. L’UE redoute que l’afflux de capitaux liés au lithium et aux terres rares ne contourne les gardes-fous AML/CFT à cause de sociétés juniors immatriculées dans des juridictions opaques. Dans les couloirs de la DG FISMA, on confie que la mesure vise autant à tarir les flux illicites qu’à sécuriser pour l’Europe une chaîne d’approvisionnement « propre » en minerais stratégiques.

Des répercussions financières immédiates

Dès la publication, les banques européennes ont relevé leur seuil de vigilance : tout transfert supérieur à 10 000 € impliquant l’un des cinq pays est soumis à un examen de conformité supplémentaire, rallongeant les délais de compensation de trois à cinq jours. Moody’s a placé sous surveillance négative deux banques kényanes actives à Francfort, tandis qu’Abidjan anticipe une hausse de son coût de financement sur l’euro-marché de 40 points de base, selon une note interne du Trésor ivoirien. Les partenaires au développement craignent, en outre, un ralentissement des décaissements destinés aux projets d’infrastructure régionaux.

Du stigmate à l’opportunité de réforme ?

La durée moyenne de présence sur la liste noire avoisine trois ans. Le Sénégal, retiré après dix-huit mois d’assistance technique, illustre la possibilité d’une sortie rapide moyennant une mobilisation soutenue des unités de renseignement financier et la digitalisation intégrale des registres notariaux. Bruxelles rappelle toutefois que la radiation n’interviendra qu’après des « progrès irréversibles ». Les capitales concernées misent déjà sur l’appui conjoint de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et de l’Agence française de développement pour financer la modernisation de leurs dispositifs de conformité.

Un nouveau paramètre structurant de la relation euro-africaine

En ciblant cinq économies africaines aux profils contrastés, l’Union européenne confirme que la lutte contre les flux financiers illicites devient un pilier de sa diplomatie économique. Si la sanction alourdit temporairement le coût des transactions, elle s’accompagne d’une feuille de route précise : transparence des bénéficiaires effectifs, condamnations judiciaires effectives et supervision des crypto-actifs. L’enjeu, pour les pays listés, n’est donc pas seulement de retrouver l’accès privilégié aux capitaux européens, mais de s’inscrire durablement dans les standards financiers internationaux.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.
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