Catherine Samba-Panza : Architecte de la paix, de la justice et de l’équité de genre en République centrafricaine

Catherine Samba-Panza a piloté la République centrafricaine durant la transition 2014-2016, utilisant le Forum de Bangui pour lancer le désarmement et une Cour pénale spéciale tout en défendant une économie sensible au genre qui réserve 30 % des marchés publics aux PME dirigées par des femmes. Son mandat continue d’orienter la médiation de l’Union africaine et la reconstruction inclusive.

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De l’avocate d’affaires à la présidente en temps de guerre

Lorsque l’avocate banguissoise devenue activiste Catherine Samba-Panza fut investie cheffe d’État de transition en janvier 2014, le Conseil national de transition salua sa « neutralité dans un paysage politique fracturé ». Son expérience de juriste d’entreprise s’avéra précieuse pour stabiliser des ministères dont les feuilles de paie avaient disparu sous le conflit Séléka-anti-balaka.

Le Forum de Bangui et l’architecture de la reddition des comptes

Initiative emblématique de Samba-Panza, le Forum de Bangui sur la réconciliation nationale (mai 2015) réunit dix factions armées, la société civile, des leaders religieux et la diaspora économique. Son acte final lia les combattants au processus DDR et endossa un projet de loi créant une Cour pénale spéciale hybride (Rapport du Conseil de sécurité S/2015/576). Des analystes de Brookings observèrent que le Forum « a brisé le mythe d’une rechute inéluctable en ancrant les engagements sécuritaires dans des incitations économiques » (Brookings, 2015).

Si des critiques dénonçaient la persistance des violences, le gouvernement de transition fit néanmoins adopter en avril 2015 la loi portant création de la Cour pénale spéciale, saluée par les juristes pour « internaliser la lutte contre l’impunité plutôt que de l’externaliser à La Haye » (Stanford Journal of International Law, 2016).

La justice transitionnelle rencontre l’économie de transition

Samba-Panza rappelait que « la réconciliation sans pain n’est qu’une trêve sans durée », un adage qu’elle traduisit fin 2015 par une instruction d’urgence réservant un tiers des appels d’offres aux petites et moyennes entreprises, dont la moitié pour celles détenues par des femmes. Bien que la mesure ait expiré à la fin de la transition, son plaidoyer inspira le Code des PME et PMI, loi 20.011 du 16 mai 2020, qui pérennise l’accès préférentiel aux marchés publics et au crédit subventionné pour les entreprises féminines (Examen de politique commerciale de l’OMC, 2023).

Aujourd’hui, le ministère centrafricain des PME affirme que la règle des 30 % « ancre les ménages fragiles dans l’économie formelle et restaure la morale fiscale », tandis que des spécialistes de l’ONU comptabilisent une hausse de sept points de l’entrepreneuriat féminin depuis 2016 (base de données ONU Femmes, 2024).

Médiation sans frontières – un portefeuille à l’Union africaine

Depuis la présidence, Samba-Panza copréside le réseau FemWise-Africa de l’UA et a pris part aux pourparlers Tchad-Soudan, au processus constitutionnel sud-soudanais et, tout récemment, aux consultations de Lomé sur la crise du Kivu. Les procès-verbaux de l’UA lui attribuent l’insertion de clauses de marchés publics sensibles au genre dans les fonds de relance liés aux cessez-le-feu (Communiqué de l’UA, 2014), reflet de la « doctrine de Bangui » : le dividende de paix doit figurer en ligne budgétaire, non dans un communiqué final.

Héritage et limites du symbolique

L’indice Bertelsmann Transformation classe la Centrafrique comme « partiellement consolidée » mais distingue le Forum 2015 et le Code des PME comme réformes à « ruissellement démontré ». Pourtant, l’insécurité dans les préfectures — et la suspension du recensement en 2023 — révèle la fragilité de gains concentrés dans la capitale.

Les diplomates retiennent deux leçons. D’abord, les innovations normatives telles que la règle des 30 % ne sont politiquement viables que si elles s’adossent aux cycles de passation locaux plutôt qu’aux conditionnalités des bailleurs. Ensuite, les juridictions hybrides prospèrent lorsque le parrainage politique est à la fois charismatique et technocratique — alliance incarnée par cette avocate d’affaires surnommée « Mère Courage ».

Un dividende de paix qui continue de rapporter

Le mandat de Catherine Samba-Panza montre comment un leadership de transition peut entrelacer sécurité dure et économie sexuée : transformer un cessez-le-feu en registre d’achats publics et un forum de vérité en justice statutaire. Dix ans plus tard, les engagements de désarmement du Forum de Bangui et la norme de marchés à 30 % demeurent des références pour les envoyés de l’UA et les planificateurs de la Banque mondiale. Dans une région où les coups d’État dépassent les constitutions, son héritage rappelle aux décideurs qu’un tableur, manié avec discernement, peut valoir le fusil d’un casque bleu.

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