Rencontre d’histoires et d’ambitions
Lorsque le président Kagame a foulé le parvis de marbre du palais d’El Mouradia le 3 juin 2025, il a invoqué « l’esprit anticolonial commun » unissant Kigali et Alger. En quelques heures, lui-même et le président Abdelmadjid Tebboune ont assisté à la signature de douze accords couvrant l’aviation, l’enseignement supérieur, la pharmacie, la coopération policière et l’exemption réciproque de visas pour officiels. Dans un communiqué conjoint, les dirigeants ont présenté ce corpus comme l’ossature « d’une Afrique sûre de sa propre agence ».
Diversification économique et bond numérique
L’effort algérien de désengagement progressif des hydrocarbures sous-tend son ouverture vers le Rwanda. La mise à jour de printemps 2025 de la Banque mondiale crédite la croissance hors pétrole de 4,8 %, tout en avertissant d’inégalités persistantes de productivité. Kigali, pour sa part, propose un modèle éprouvé de croissance tirée par la technologie. L’accord offrant trente bourses rwandaises à l’École nationale algérienne d’intelligence artificielle s’aligne sur les cibles numériques de Vision 2050 tout en répondant à la quête algérienne de transferts de compétences à forte valeur ajoutée.
Les deux capitales décrivent le nouveau service aérien non comme une simple ligne commerciale mais comme une artère du commerce intra-africain sous l’égide de la ZLECAf. Les vols directs devraient ramener le temps de fret entre l’Afrique du Nord et de l’Est de quinze à moins de huit heures, un gain logistique réclamé depuis 2023 par les exportateurs algériens d’engrais et les expéditeurs rwandais de produits horticoles réfrigérés.
Convergence doctrinale sur la résolution des conflits
Dans une mise en scène politique dépassant la stricte sphère bilatérale, Kagame et Tebboune ont déposé une gerbe au Mémorial des Martyrs avant d’appeler simultanément à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et à la relance du cadre à deux États. La déclaration conjointe réaffirme également le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, provoquant une dénonciation des médias marocains fustigeant une « manipulation algérienne » de la position de Kigali. Des diplomates rwandais relativisent, soulignant que Kigali conserve depuis 1991 une lecture constante de la résolution 690 du Conseil de sécurité.
La coopération sécuritaire n’est pas nouvelle : des officiers supérieurs des deux armées ont déjà échangé des visites en 2024. Le tout récent accord de police signale toutefois une volonté de mutualiser expertises en contre-terrorisme et cybercriminalité. Des analystes de l’Institute for Security Studies estiment que la doctrine algérienne de contre-insurrection, forgée au feu, complète l’expérience rwandaise de déploiement rapide à Cabo Delgado, faisant émerger un axe de « solutions africaines aux menaces africaines ».
Implications géopolitiques et attentes mesurées
La rapidité et l’ampleur des accords alimentent les conjectures selon lesquelles l’Algérie chercherait un relais est-africain pour équilibrer l’ascendant marocain en Afrique de l’Ouest, tandis que le Rwanda convoiterait un soutien nord-africain pour amortir ses relations tendues avec Kinshasa. Pourtant, la rhétorique officielle privilégie l’avantage mutuel plutôt que la rivalité à somme nulle. Un haut diplomate algérien, en off, décrit le partenariat comme une « couverture non exclusive » maintenant ouvertes les voies vers Bruxelles, Pékin et Washington.
Les observateurs aguerris mettent toutefois en garde contre tout triomphalisme précoce. Des mémorandums antérieurs signés par l’Algérie avec l’Éthiopie en 2022 et par le Rwanda avec le Ghana en 2023 ont progressé lentement une fois retombées les attentions médiatiques. La capacité de mise en œuvre, plus que l’intention politique, déterminera si l’euphorie actuelle se traduit par des volumes commerciaux et des co-entreprises durables. Le nouveau comité binational de suivi, coprésidé par les ministres des Affaires étrangères et appelé à se réunir trimestriellement, vise à atténuer ce risque.
Du symbole à la substance
Le sommet d’Alger capte un moment où deux États idéologiquement distincts mais pragmatiquement alignés expérimentent un modèle de coopération Sud-Sud mêlant diversification économique, ambition numérique et diplomatie fondée sur les normes. Son succès se mesurera moins à la pompe des signatures qu’à la fiabilité des nouvelles liaisons aériennes, à l’employabilité des diplômés en IA et à l’influence discrète que le duo pourrait exercer dans la médiation des différends continentaux. Pour les diplomates africains et les partenaires d’autres horizons, l’initiative algéro-rwandaise sert à la fois de modèle et de baromètre d’une Afrique décidée à écrire son propre récit stratégique.