Mali-Algérie : l’escalade juridique d’un drone abattu

Jean-Baptiste Ngoma
6 mn de lecture

Une plainte inédite devant la Cour internationale de justice

En déposant le 1ᵉʳ avril une requête auprès de la Cour internationale de justice, Bamako fait un pas rarement franchi entre voisins africains. Le gouvernement malien accuse l’Algérie d’avoir détruit un drone de reconnaissance de son armée à l’intérieur de l’espace aérien malien, qualifiant cet acte d’agression en rupture avec le principe onusien de non-recours à la force.

Vendredi 19 septembre, la CIJ a confirmé avoir reçu la plainte, ouvrant la voie à une phase préliminaire destinée à vérifier la compétence de la juridiction. Dans le système onusien, la Cour ne peut statuer que si les deux parties acceptent son autorité. C’est précisément ce verrou que l’Algérie entend opposer.

Le refus catégorique d’Alger

Par communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères a dénoncé une « manœuvre trop grossière pour être crédible ». Alger estime disposer de données radars attestant qu’un aéronef malien a violé son propre espace aérien, justifiant la riposte. L’Algérie promet donc de « notifier, en temps opportun, son refus » de la procédure.

Aussi longtemps que cette position prévaudra, aucune audience sur le fond ne pourra s’ouvrir à La Haye. La stratégie algérienne consiste à couper court à la judicialisation du différend, considérant qu’un règlement bilatéral ou régional serait plus approprié.

Une relation bilatérale déjà sous tension

L’incident du drone s’inscrit dans une détérioration continue des rapports entre Bamako et Alger. Depuis plusieurs mois, les frontières aériennes sont fermées, les ambassadeurs rappelés et la rhétorique sécuritaire s’est durcie. Bamako reproche notamment à Alger une « proximité avec les groupes terroristes » opérant dans la bande frontalière.

En janvier 2024, la junte malienne avait déjà dénoncé l’Accord d’Alger de 2015, jusque-là considéré par la communauté internationale comme un pilier de la stabilisation du nord malien. La confiance s’est étiolée, créant un terrain propice à l’escalade suscitée par l’épisode du drone.

Les marges de manœuvre de la CIJ

Créée en 1948, la CIJ règle les différends inter-étatiques quand un traité ou une déclaration de compétence la fonde. Dans le cas présent, aucun instrument contraignant ne lie expressément l’Algérie à la reconnaissance obligatoire de la Cour. Bamako tente donc de convaincre Alger sous l’argument du respect du droit international, tout en sollicitant un arbitrage moral des Nations unies.

Les juristes rappellent que le refus d’Alger ne bloque pas la possibilité d’ordonnances provisoires, mais rend improbable une décision sur le fond. Dans pareil scénario, la CIJ risquerait de se contenter d’entériner l’absence de consentement, laissant le contentieux irrésolu sur la scène diplomatique.

Risque d’isolement ou levier diplomatique ?

Pour Bamako, la saisine pourrait être une façon de déplacer la crise sur un terrain juridique afin d’obtenir un rapport de force plus équilibré face à une puissance régionale. La publicité donnée à la requête place Alger sous le regard de la communauté internationale, même si la procédure semble vouée à l’impasse.

Inversement, l’Algérie parie sur la cohésion de sa doctrine de non-ingérence et sur son rôle traditionnel de médiateur au Sahel pour éviter tout isolement diplomatique. Son rejet de compétence vise à préserver l’autonomie stratégique qu’elle revendique depuis des décennies.

Scénarios d’évolution à court terme

Si aucune partie ne fléchit, la crise pourrait se figer, provoquant une rupture durable des liaisons économiques et sécuritaires entre les deux voisins. Les fermetures d’espace aérien pèsent déjà sur le trafic militaire et humanitaire dans la région.

Un dégel impliquerait la réactivation d’un canal bilatéral ou l’entremise d’acteurs régionaux comme la CEDEAO. Des signaux d’apaisement – restitution d’enregistrements radars ou reconnaissance mutuelle de violation involontaire – pourraient alors constituer des mesures de confiance.

Calendrier et acteurs clés

Selon la chronologie officielle, le drone aurait été abattu le 1ᵉʳ avril, la requête déposée peu après et rendue publique le 19 septembre. Les ministères de la Défense et des Affaires étrangères de chaque capitale mènent désormais la danse, tandis que la CIJ attend la notification algérienne avant toute action formelle.

À l’arrière-plan, les juntes du Niger et du Burkina Faso, alliées de Bamako, ont rappelé leurs ambassadeurs d’Algérie en signe de solidarité. Cette dimension tripartite confère à la crise une portée régionale qui dépasse le seul différend aérien.

Ce qu’il faut retenir

Le dossier du drone symbolise la fragilité des équilibres sécuritaires au Sahel. Faute d’accord préalable sur la compétence de la CIJ, la plainte malienne a peu de chances de prospérer juridiquement. Néanmoins, la dimension politique d’une telle démarche pèse sur la réputation d’Alger et peut influencer les négociations futures.

La suite dépendra de la capacité des deux pays à rouvrir un dialogue pragmatique. L’option militaire restant improbable entre ces États interdépendants, la diplomatie régionale et la pression internationale constitueront les variables décisives pour sortir de l’impasse.

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Jean-Baptiste Ngoma est éditorialiste économique. Diplômé en économie appliquée, il suit les grandes tendances du commerce intra-africain, les réformes structurelles, les dynamiques des zones de libre-échange et les flux d’investissements stratégiques. Il décrypte les enjeux macroéconomiques dans une perspective diplomatique et continentale.