Voyage interdit, argent surtaxé : la double gifle de Trump aux diasporas africaines

La nouvelle interdiction de voyager de Washington frappe douze pays, dont sept africains, tandis qu’un prélèvement de 5 % sur les transferts sortants vise les non-citoyens. Ensemble, ces mesures menacent la mobilité et les lignes de vie économiques de millions d’Africains de la diaspora, posant des défis diplomatiques, juridiques et de développement.

5 mn de lecture

Une double offensive contre la mobilité et l’argent

À 00 h 01, le 9 juin, la nouvelle proclamation du président Donald Trump est entrée en vigueur, interdisant totalement l’entrée aux ressortissants d’Afghanistan, du Myanmar, du Tchad, de la République du Congo, de la Guinée équatoriale, de l’Érythrée, d’Haïti, d’Iran, de Libye, de Somalie, du Soudan et du Yémen, et restreignant partiellement sept autres États. Africanews souligne que la majorité des États entièrement bannis sont africains, faisant du continent la principale victime collatérale d’une mesure que la Maison Blanche présente comme antiterroriste.

À peine une semaine plus tôt, la Chambre des représentants a intégré un prélèvement de 5 % sur tous les transferts transfrontaliers effectués par les non-citoyens dans son gigantesque « One Big Beautiful Bill », un paquet de lois publiquement soutenu par le président. Présentée comme un moyen de financer la sécurité frontalière, la taxe frappera surtout les communautés d’Afrique subsaharienne, où les petits envois de fonds des proches à l’étranger représentent jusqu’à 9 % du PIB régional.

Des lignes de vie économiques en péril

Les données des banques centrales indiquent déjà un changement de comportement. En avril, le Mexique – deuxième bénéficiaire mondial de remises migratoires – a enregistré son déclin mensuel le plus marqué en treize ans, une contraction que les économistes lient au débat parlementaire sur la taxe. Les analystes de Banorte anticipent un « affaiblissement » des flux après une phase de transferts précoces, prédisant une chute prolongée qui pourrait se reproduire dans les corridors africains.

Manuel Orozco, de l’Inter-American Dialogue, avertit que réduire les remises « nuira à l’intérêt national américain », car celles-ci stabilisent des régions d’origine et atténuent historiquement les pressions migratoires à la frontière sud (AP). Son avertissement trouve écho à Abuja, Nairobi et Dakar, où les gouverneurs de banques centrales redoutent une volatilité monétaire si les entrées de dollars diminuent au moment même où les prix mondiaux des matières premières se tassent.

Vent contraire diplomatique et juridique

Dans un communiqué du 5 juin, l’Union africaine a dénoncé le travel ban qui compromet « les liens interpersonnels, les échanges éducatifs et les relations commerciales » patiemment bâtis depuis l’initiative Young African Leaders de l’ère Obama. À N’Djamena, le président Mahamat Déby a riposté en suspendant la délivrance de visas aux citoyens américains, signalant sa volonté de représailles.

Les juristes doutent que les nouvelles restrictions échappent aux écueils constitutionnels qui avaient entaché les interdictions du premier mandat de Trump. Le Council on Foreign Relations note toutefois que l’administration s’appuie désormais sur des indicateurs détaillés du Department of Homeland Security, une rédaction pensée pour survivre au contrôle judiciaire. Politico rapporte que les avocats spécialisés préparent déjà des recours accélérés devant les cours d’appel des Quatrième et Neuvième Circonscriptions.

S’agissant des remises, le Trésor américain admet que l’application d’une ponction uniforme de 5 % exigera une surveillance inédite des opérateurs de transfert de fonds, plaçant les fintechs africaines comme Chipper Cash et Wave dans une zone réglementaire grise. Les banques centrales africaines, qui encouragent les canaux numériques pour réduire les coûts, se trouvent devant un dilemme : accepter des frais plus élevés susceptibles de pousser les transferts vers l’informel, ou subventionner ces coûts et absorber la charge fiscale.

Pris séparément, les travel bans et les taxes sur les remises sont des instruments politiques rudimentaires ; combinés, ils risquent d’aggraver les boucles rétroactives sécurité-migration que Washington et ses partenaires africains tentent de briser depuis deux décennies. Comme l’a sèchement observé le ministère nigérian des Affaires étrangères cette semaine, « les murs de visas et les barrières fiscales ne produisent guère la migration ordonnée qu’ils promettent ». Que les tribunaux américains – ou les marchés obligataires qui évaluent les flux de la diaspora – atténuent ou non ces initiatives déterminera la tonalité des relations États-Unis–Afrique durant le second mandat de Trump, mais aussi les moyens de subsistance de millions de personnes partageant deux continents.

Partager l'article
La Rédaction d’AfricanDiplomats est composée d’une équipe d’experts pluridisciplinaires : diplomates, reporters, observateurs, analystes, auteurs et professeurs. Ensemble, nous partageons des analyses, des perspectives et des opinions éclairées sur la diplomatie africaine et l’engagement international du continent.Notre mission est d’offrir une information fiable, actuelle et rigoureuse sur la diplomatie, les affaires internationales et le leadership africain. De négociations décisives aux grandes alliances stratégiques, nous suivons et décryptons les dynamiques qui renforcent la voix et l’influence de l’Afrique dans le monde.Grâce à des analyses exclusives, des mises à jour en temps réel et une couverture approfondie des enjeux globaux, notre rédaction s'engage à informer, à éclairer et à faire entendre l’Afrique sur la scène internationale.
Aucun commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *