Les ressources en eau, notamment lorsqu’elles franchissent des frontières nationales, ont historiquement été à la fois des sources de conflit et des catalyseurs de coopération. Le fleuve Medjerda, le plus long de Tunisie, prend sa source en Algérie et traverse des paysages variés avant de se jeter dans le golfe de Tunis. Son importance dépasse sa valeur hydrologique, englobant des fonctions vitales en matière d’agriculture, d’industrie et de géopolitique. Ces dernières années, les pressions croissantes du changement climatique, de la croissance démographique et du développement économique ont renforcé l’urgence d’une gouvernance efficace des eaux transfrontalières.
Le bassin de la Medjerda : un lien vital transfrontalier
Le bassin du fleuve Medjerda couvre environ 23 700 kilomètres carrés, dont environ 20 % en Algérie et le reste en Tunisie. L’écoulement du fleuve soutient de nombreuses activités : irrigation agricole, processus industriels et consommation domestique. Le bassin englobe des régions aux conditions climatiques variées, allant des zones relativement humides en amont en Algérie aux zones plus arides en aval en Tunisie. Cette diversité géographique exige des stratégies de gestion de l’eau adaptées, tenant compte à la fois de la variabilité environnementale et des besoins socio-économiques.
Défis liés à la gestion des ressources en eau
La gestion des eaux de la Medjerda est compliquée par plusieurs défis. Tout d’abord, le bassin subit une grande variabilité hydrologique, marquée par des périodes de sécheresse et d’inondations qui affectent la disponibilité et la qualité de l’eau. Ensuite, la demande croissante en eau, alimentée par l’expansion agricole, l’urbanisation et l’industrialisation, accentue la pression sur les ressources du fleuve. Par ailleurs, la pollution issue du ruissellement agricole et des rejets industriels menace la santé écologique du système fluvial. Enfin, l’absence d’un accord contraignant et global entre l’Algérie et la Tunisie sur le partage et la gestion de l’eau aggrave les risques de conflits et d’inefficacités.
Le programme BRIDGE : favoriser la coopération
Face à ces défis, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), avec le soutien de l’Agence suisse pour le développement et la coopération, a lancé le programme BRIDGE (Building River Dialogue and Governance). Entré dans sa cinquième phase en 2022, BRIDGE vise à renforcer la gouvernance transfrontalière de l’eau par le renforcement des capacités, l’implication des parties prenantes et la promotion d’un partage équitable des bénéfices.
Dans le cadre du bassin de la Medjerda, BRIDGE a facilité une série de dialogues et d’ateliers réunissant une diversité d’acteurs : responsables gouvernementaux, experts techniques, représentants de la société civile et universitaires. Ces échanges ont permis de renforcer la compréhension mutuelle, de développer des visions communes pour la gestion de l’eau et d’explorer des mécanismes de coopération.
Résultats clés et orientations stratégiques
Les activités du programme BRIDGE dans le bassin de la Medjerda ont abouti à plusieurs résultats notables :
- Renforcement des capacités des parties prenantes : les formations et échanges de connaissances ont permis d’améliorer la compréhension du droit international de l’eau, des techniques de négociation et des principes de gestion intégrée des ressources en eau.
- Renforcement des liens institutionnels : les dialogues ont favorisé des connexions entre les institutions algériennes et tunisiennes, jetant les bases de cadres de coopération plus formalisés.
- Promotion du partage des bénéfices : en mettant l’accent sur le concept de partage des bénéfices, le programme a encouragé une approche axée non seulement sur la répartition quantitative de l’eau, mais aussi sur la distribution équitable des avantages issus de son utilisation.
- Développement d’initiatives conjointes : les participants ont identifié des opportunités de projets collaboratifs, tels que le suivi conjoint de la qualité de l’eau, la gestion coordonnée des crues et la mise en place de systèmes de données partagés.
Enjeux pour la stabilité régionale et le développement
Une diplomatie de l’eau efficace dans le bassin de la Medjerda a des implications importantes pour la stabilité régionale et le développement durable. En favorisant la coopération entre l’Algérie et la Tunisie, le programme BRIDGE contribue à réduire les risques de conflits liés à l’eau et à renforcer la confiance mutuelle. Par ailleurs, une gestion concertée de l’eau peut servir de plateforme pour une intégration économique et politique plus large, favorisant la prospérité partagée et la résilience face aux défis environnementaux.
Le fleuve Medjerda, en tant que ressource partagée, incarne à la fois la complexité et les opportunités de la gestion des eaux transfrontalières. Les efforts du programme BRIDGE en matière de dialogue, de renforcement des capacités et de promotion de cadres coopératifs illustrent le rôle fondamental de la diplomatie de l’eau dans la résolution des enjeux communs. Alors que la pression sur les ressources hydriques s’intensifie, un engagement durable en faveur de la coopération reste essentiel.