Paris–Brazzaville face aux infox : quand la coopération déjoue le vacarme numérique

À la suite du rapprochement parlementaire Congo–France, la lutte conjointe contre les manipulations de l’information franchit un cap. Alors que les campagnes de désinformation, souvent pilotées par des États, ciblent de plus en plus des femmes publiques comme Brigitte Macron ou Françoise Joly, la coordination franco-congolaise apparaît comme un levier de résilience démocratique à l’approche de la présidentielle congolaise de 2026.

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Un agenda sénatorial qui assume la sécurité informationnelle

La rencontre du 21 août entre le président du groupe d’amitié Congo–France au Sénat congolais, Aristide Ngama Ngakosso, et l’ambassadrice de France, Claire Bodonyi, a acté l’opérationnalisation de la feuille de route issue du mémorandum de 2024. Au-delà du protocole, le signal est clair : la coopération parlementaire s’adosse désormais à un pilier de “sécurité informationnelle” au service de la stabilité institutionnelle. Ce cadrage a été confirmé par la presse congolaise et par les comptes rendus parallèles publiés à Brazzaville. (Congo-B, 21 août 2025 ; ADIAC, 21–22 août 2025).

Des campagnes étatiques… et genrées

Les dernières analyses officielles françaises documentent la montée d’opérations de manipulation imputables à des acteurs liés à des États, avec des narratifs prorusses et, plus récemment, des vecteurs azerbaïdjanais ; elles visent à fracturer l’opinion et à saper la crédibilité des institutions. Paris a renforcé VIGINUM, service dédié à la veille et à la neutralisation des ingérences numériques étrangères. (Ministère des Armées/VIGINUM, 17 mars 2025 ; SGDSN–VIGINUM, rapport du 7 février 2025 ; rapport sénatorial relayé par Le Monde, 25 juillet 2024).

Dans ce contexte, les campagnes sont aussi genrées : la justice française a condamné en septembre 2024 deux personnes pour une infox visant Brigitte Macron, illustrant la façon dont les femmes en vue servent de cibles privilégiées de récits toxiques. À Brazzaville, la représentante personnelle du président, Françoise Joly, a été la proie de rumeurs sexualisées et de narrations non sourcées amplifiées sur les réseaux sociaux ; plusieurs médias locaux et régionaux ont documenté ces emballements, tandis que des démentis et mises au point ont été publiés. (RFI, 13 septembre 2024 ; Afrik.com, 30 juin 2025 ; Jeune Afrique, 15 décembre 2024 ; Congo-B, 8 août 2025).

Des cellules et des méthodes : convergence franco-congolaise

Côté français, VIGINUM structure une réponse étatique outillée — détection de réseaux, attribution, contre-narratifs — en liaison avec les autorités judiciaires et les plateformes. Les épisodes “Matriochka” et autres opérations hybrides ont servi de banc d’essai à cette doctrine. (Ministère des Armées, “Infox :…”, 2025).

Côté congolais, la régulation et la surveillance des dérives informationnelles s’appuient sur le Conseil supérieur de la liberté de communication (CSLC), dont les mécanismes de monitoring et de sensibilisation sont mobilisés lors des périodes électorales. S’y ajoute, depuis la mi-août 2025, une coordination annoncée avec Kinshasa pour organiser des briefings alternés et des actions communes contre la désinformation transfrontalière, sous l’égide des ministres de la Communication Thierry Moungalla et Patrick Muyaya. (ODIL/fiche Congo-Brazzaville ; RTNC, 19 août 2025 ; Zoom Eco, 19 août 2025).

Pourquoi 2026 impose une vigilance stratégique

La présidentielle congolaise est désormais cadrée : révision des listes électorales du 1er septembre au 30 octobre 2025 et scrutin attendu en mars 2026, selon les arrêtés publiés début août et les reprises par la presse internationale. Cette séquence augmente mécaniquement le risque d’infox électorales, de deepfakes et d’opérations d’influence ciblant institutions, médias et figures féminines du débat public. (ADIAC, 9 août 2025 ; RFI, 11 août 2025 ; LSI Africa, 10 août 2025).

Dans ce cadre, l’alignement franco-congolais n’est pas un luxe mais une garantie procédurale : partage d’indicateurs techniques et juridiques, circuits rapides de vérification auprès des autorités et des rédactions, et montée en compétence des relais parlementaires pour contrer la propagation des récits malveillants. La coopération inter-sénatoriale donne un cadre politique à ces échanges, tandis que les cellules spécialisées — VIGINUM côté français, dispositifs de veille du CSLC et coordination ministérielle à Brazzaville — fournissent l’ingénierie opérationnelle. L’enjeu n’est pas de “sur-communiquer”, mais de restaurer de la prévisibilité informationnelle, donc de la confiance, dans les mois qui précèdent le vote. (Congo-B, 21 août 2025 ; ODIL/CSLC ; Ministère des Armées/VIGINUM).

La désinformation contemporaine, souvent adossée à des appareils étatiques, prospère sur la polarisation et les imaginaires sexistes. Y répondre exige une alliance des acteurs institutionnels, diplomatiques et médiatiques. À cet égard, le rapprochement Congo–France constitue une opportunité : il conjugue expertise technique, éthique démocratique et ancrage parlementaire. À l’horizon de mars 2026, c’est moins une bataille de communication qu’un test de résilience démocratique qui s’annonce — et l’appui français, assumé et transparent, est un atout pour Brazzaville autant qu’un intérêt pour Paris. (Congo-B, 21 août 2025 ; RFI, 11 août 2025 ; Ministère des Armées/VIGINUM).

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Thabo Mokoena est journaliste spécialisé en innovation technologique et souveraineté numérique. Formé en technologies émergentes et communication stratégique, il explore les mutations de l’intelligence artificielle, les écosystèmes startups et les ambitions africaines notamment en matière de diplomatie scientifique et numérique et cybersécurité.