Ce qu’il faut retenir
La tentation, réapparue après les violences du 7 octobre 2023, de pousser les Gazaouis vers le désert du Sinaï se brise sur un double écueil : l’interdiction formelle du transfert forcé inscrite dans le droit international humanitaire et le refus catégorique de l’Égypte d’ouvrir durablement Rafah tant qu’Israël maintient une présence dans la bande de Gaza.
Contexte régional et juridique
Le droit au déplacement volontaire puis au retour, ancré dans les Conventions de Genève et rappelé par l’ONU, protège nominalement chaque habitant de Gaza. L’article 49 prohibe les déportations collectives, tandis que l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacre la liberté de circulation (ONU, 2024).
Dans la pratique, ce corpus se heurte à une absence de mécanisme de mise en œuvre. Depuis la fermeture quasi permanente de Rafah en 2007, le passage ne fonctionne que par intermittence, souvent conditionné à des critères de sécurité définis unilatéralement par Israël et à des frais onéreux prélevés par des agences de voyages égyptiennes accréditées.
Le goulot d’étranglement de Rafah
Lorsque le terminal a rouvert brièvement en novembre 2023, quelque 100 000 Palestiniens ont pu gagner l’Égypte après de longues listes d’attente. Beaucoup ignoraient si un retour serait possible, illustrant l’asymétrie entre le droit théorique et la réalité du terrain (Human Rights Watch, 2024).
En mai 2024, la prise de contrôle du poste frontalier par l’armée israélienne a encore durci la situation. Le court cessez-le-feu de février-mars 2025 n’a permis qu’à quelques centaines de patients et accompagnants de passer, faute d’accord stable entre Israël, l’Autorité palestinienne et Le Caire.
Le rôle d’Israël et les impératifs sécuritaires
Tel-Aviv oppose des considérations de sécurité à tout processus d’évacuation de masse : crainte d’un retour d’armes dans la bande et volonté affichée de maintenir un contrôle des flux humains pour peser sur l’après-guerre. Le ministère israélien de la Défense a même proposé à l’AP la gestion conjointe de Rafah, offre aussitôt déclinée par Ramallah qui refuse d’entériner un statu quo militaire.
Cette impasse entérine une situation où seule une liste restreinte – malades graves, binationaux ou détenteurs de visas étrangers – peut quitter Gaza. Les autres restent piégés dans un territoire amputé, sans garantie de retour et sans réelle possibilité d’exode légalement reconnu.
Le calcul politique du Caire
Pour l’Égypte, permettre un afflux massif de réfugiés reviendrait à se retrouver dépositaire de la question palestinienne. Le Caire craint un précédent qui pourrait être perçu comme la liquidation de la cause nationale palestinienne et s’inquiète pour la sécurité du Sinaï déjà fragile (Carnegie Middle East, 2024).
Le gouvernement égyptien conditionne donc toute réouverture durable à un retrait israélien complet de Gaza et à une supervision palestinienne ou internationale du point de passage. En attendant, l’économie égyptienne tire des revenus du passage filtré des civils, tout en refusant un déplacement massif susceptible de déséquilibrer le marché du travail et la cohésion sociale.
Scénarios d’après-guerre pour la population
Les plans de reconstruction évoqués par plusieurs chancelleries reposent sur le maintien des Gazaouis sur leur terre, avec un couloir humanitaire permanent mais contrôlé. Les propositions de création d’un port géré par l’Union européenne ou d’une force d’interposition arabe figurent parmi les pistes discutées au Conseil de sécurité, sans avancée décisive.
Dans tous les scénarios, l’idée d’un transfert forcé vers le Sinaï apparaît plus coûteuse, politiquement et financièrement, que la stabilisation de Gaza. Même les alliés les plus proches d’Israël, États-Unis en tête, redoutent l’effet boomerang d’une telle mesure sur les équilibres régionaux et sur le droit international déjà mis à rude épreuve dans le conflit.
Implications pour la diplomatie africaine
Alors que l’Union africaine réaffirme son attachement à la doctrine de non-acquisition de territoire par la force, plusieurs capitales du continent suivent de près l’évolution de Rafah. Le verrou égyptien confirme l’importance des mécanismes régionaux dans la résolution des crises et rappelle qu’aucun schéma de paix durable ne peut ignorer la voix des pays africains riverains du Moyen-Orient.