Une avancée décisive, mais discrète, à Dakar
Réunis au siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, les gouverneurs des banques centrales membres de l’Association des banques centrales africaines (ABCA) ont approuvé un calendrier accéléré pour l’Institut monétaire africain, désormais appelé à exercer des fonctions pré-bancaires centrales dès le début de 2027. Ils ont également mandaté des travaux techniques sur un cadre de collatéral harmonisé et la finalité des paiements transfrontaliers, signe d’une volonté de passer des déclarations symboliques à la construction d’une architecture opérationnelle.
Le communiqué de Dakar précise que la convergence macroéconomique n’est plus abordée comme une liste statique de critères, mais comme un processus dynamique de gestion des risques soumis à un examen trimestriel par les pairs et à des mécanismes correctifs automatiques. En empruntant le vocabulaire de la conditionnalité habituellement réservé aux bailleurs multilatéraux, les gouverneurs cherchent à rassurer les marchés : la future monnaie unique reposerait sur des règles crédibles plutôt que sur une aspiration politique isolée.
Pressions macro-financières et recalibrage du calendrier
Cette nouvelle détermination surgit dans un contexte de liquidité tendue au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, où les banques commerciales conservent d’importantes réserves excédentaires tandis que les courbes de taux souverains se redressent. Parallèlement, les gouvernements de la région ont presque doublé leur recours au marché obligataire depuis janvier, reflet d’ambitieux programmes de dépenses et d’un besoin accru de refinancement. Une évaluation récente du Fonds monétaire international avertit que, sans discipline budgétaire rapide, la position extérieure de l’union pourrait retomber sous les seuils d’adéquation d’ici 2026.
Pour les gouverneurs, ces données compliquent la tâche sans la compromettre. Le calendrier révisé lie explicitement la séquence d’intégration monétaire à la stabilisation des trajectoires de dette publique et à la normalisation progressive des conditions de liquidité. Autrement dit, le projet de monnaie unique n’est plus conçu comme une panacée macro-économique : il devient la variable dépendante des réformes budgétaires et financières.
Géopolitique et calcul de l’intégration
Les vents contraires politiques sont tout aussi déterminants. Le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CEDEAO a contraint les décideurs à revoir la notion de consensus « continental ». L’analyse contemporaine montre que la coopération pragmatique, plus que la discipline fondée sur les traités, constitue désormais la monnaie d’échange dominante de la politique régionale. En ancrant le débat monétaire dans un forum technocratique plutôt que dans des arènes diplomatiques disputées, la réunion de Dakar a cherché à soustraire le projet à cette volatilité.
Les responsables savent pourtant que la légitimité dépendra, en dernière instance, de résultats tangibles pour les citoyens. Les gouverneurs ont donc assorti les jalons institutionnels d’objectifs concrets en matière d’interopérabilité des paiements, de coûts de transfert et d’efficacité des règlements commerciaux : autant de domaines où des progrès graduels peuvent être démontrés indépendamment des fluctuations politiques de haut niveau.
Conditions de crédibilité et prochaines étapes
Trois conditions détermineront la solidité du nouveau calendrier. D’abord, les cadres budgétaires nationaux doivent s’aligner sur les plafonds de dette et de déficit ébauchés dans le Pacte de convergence ; sans cette discipline, les coûts d’ajustement post-union pourraient devenir prohibitifs. Ensuite, la capacité statistique et la transparence des données doivent être renforcées afin que la surveillance entre pairs repose sur des métriques comparables. Enfin, les gouverneurs reconnaissent la nécessité d’une communication claire pour contenir les attentes des marchés et prévenir des flux spéculatifs susceptibles de déstabiliser les taux de change pendant la transition.
Un groupe de travail présentera, lors de la prochaine session du Bureau, un rapport sur ces prérequis. Parallèlement, un groupe juridique rédigera les statuts de l’Institut monétaire africain, incluant des garanties d’indépendance opérationnelle calquées sur les chartes bancaires centrales les plus exigeantes.
La rencontre de Dakar ne constitue donc ni un saut spectaculaire ni une gesticulation symbolique. Elle représente une avancée calibrée, pesant les réalités économiques face à l’impératif stratégique de souveraineté monétaire africaine. La pérennité de cet élan dépendra moins de grands sommets que de la discipline quotidienne consistant à respecter les critères de convergence, à gérer la liquidité avec prudence et à maintenir un consensus politique au sein d’un continent de plus en plus hétérogène.