Le Maroc et l’IA : la diplomatie numérique au service de la souveraineté technologique en Afrique

Le Maroc s’impose comme un acteur stratégique de l’intelligence artificielle en Afrique, en conjuguant volontarisme politique, diplomatie numérique proactive et investissements ciblés. À travers sa stratégie nationale, des alliances internationales et des applications concrètes, le Royaume fait de l’IA un levier de souveraineté technologique, d’inclusion sociale et d’influence régionale. Ce pari ambitieux, porté par les plus hautes autorités de l’État, transforme progressivement le pays en puissance numérique émergente.

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Alors que la course mondiale à l’intelligence artificielle (IA) s’accélère, le Maroc avance résolument ses pions. En quelques années, le Royaume a posé les bases d’une stratégie technologique ambitieuse, visant à faire de l’IA un levier de souveraineté numérique, d’attractivité économique et d’influence régionale. Grâce à une combinaison de volontarisme politique, de partenariats internationaux et d’investissements structurants, le pays ambitionne désormais de devenir un leader de l’IA sur le continent africain.

Une vision politique structurée portée par la diplomatie et les institutions

La stratégie nationale « Maroc Digital 2020–2025 », pierre angulaire de cette dynamique, établit clairement les priorités du Royaume en matière de transformation numérique : numériser les services publics, développer les compétences locales, encourager l’innovation et renforcer la souveraineté sur les infrastructures et les données.

Cette vision est portée au plus haut niveau de l’État et relayée par une diplomatie technologique proactive. En mai 2025, lors du Deep Tech Summit à Rabat, les autorités marocaines ont réaffirmé leur volonté de positionner le pays comme un acteur central de l’IA en Afrique, en s’appuyant sur des initiatives diplomatiques comme GITEX Africa à Marrakech, devenu un rendez-vous continental incontournable pour les acteurs de l’innovation.

Un engagement d’État porté par le roi et les ministres clés

Le déploiement de l’intelligence artificielle au Maroc bénéficie d’un appui fort de l’État. Le roi Mohammed VI a plusieurs fois exprimé sa volonté de faire du numérique — et de l’intelligence artificielle en particulier — un pilier de modernisation du pays, soulignant l’importance de maîtriser les technologies émergentes pour garantir la souveraineté et l’indépendance du Royaume.

Cette orientation stratégique se traduit dans l’action des membres du gouvernement, à commencer par la ministre déléguée chargée de la Transition numérique, Ghita Mezzour, en première ligne sur la mise en œuvre de la stratégie « Maroc Digital 2020–2025 ». Le ministère de l’Industrie et du Commerce soutient activement les partenariats avec les entreprises technologiques internationales, tandis que d’autres départements facilitent la mise en place d’incubateurs, de pôles de recherche appliquée et de cadres réglementaires adaptés. Cette coordination intergouvernementale donne au Maroc une vision claire et cohérente de son ambition technologique.

Infrastructures, éducation et alliances technologiques : les leviers d’un écosystème émergent

Pour atteindre ses objectifs, le Maroc a misé sur le développement d’infrastructures de calcul et de cloud, mais aussi sur la formation. L’objectif annoncé : former 22 500 jeunes par an aux compétences numériques, dont l’IA, d’ici à 2027.

Côté entreprises, plusieurs alliances marquent cette montée en puissance. Atlas Cloud Services, un acteur national du cloud, a signé un partenariat stratégique avec IBM pour offrir des solutions IA adaptées au contexte marocain, notamment pour les PME et les collectivités. Cette initiative vise à démocratiser l’accès à l’IA en rendant les technologies avancées plus accessibles.

Sur le plan international, le Maroc a également conclu un accord avec AI71, une société émiratie spécialisée dans la gestion de données à grande échelle, dans le but de renforcer ses capacités en matière de gouvernance et de sécurisation des données stratégiques.

Des cas d’usage concrets : l’IA au service du gaz, de l’agriculture et de l’inclusion

Le virage vers l’IA n’est pas que théorique : il s’incarne déjà dans plusieurs projets concrets à travers le pays. Un exemple emblématique est celui de la région de Tendrara, dans l’est du Maroc, où des technologies d’intelligence artificielle sont mobilisées pour optimiser la caractérisation des réservoirs gaziers. Grâce à l’analyse automatisée de données géologiques complexes, des modèles prédictifs permettent d’affiner les campagnes de forage, de réduire les coûts et d’accélérer l’exploitation des ressources naturelles.

Autre domaine concerné : l’agriculture intelligente. Des startups marocaines travaillent déjà sur des solutions de monitoring de sols, d’optimisation de l’irrigation et de prévision des rendements à l’aide d’algorithmes d’IA — une approche cruciale pour un pays exposé aux aléas climatiques et engagé dans la transition écologique.

Sur le volet social, le centre AI Movement, établi près de Rabat, développe des applications à fort impact inclusif. L’une d’elles, une application mobile destinée aux femmes illettrées en zone rurale, utilise la reconnaissance vocale et l’interface visuelle simplifiée pour faciliter l’accès à l’éducation et aux droits sociaux.

Une diplomatie technologique proactive : positionner le Maroc sur la carte mondiale de l’IA

L’ascension technologique du Maroc ne repose pas uniquement sur les investissements et les infrastructures internes. Le Royaume déploie également une diplomatie technologique offensive, visant à faire reconnaître son rôle de leader en Afrique et à intégrer les grands forums mondiaux de gouvernance numérique.

À travers des événements comme le Deep Tech Summit 2025 ou GITEX Africa, organisé chaque année à Marrakech, le Maroc se présente comme une plateforme de dialogue et de coopération en matière d’innovation, de régulation de l’IA et de transfert technologique. Ces événements attirent des acteurs de la Silicon Valley, de la Chine, du Golfe et de l’Europe, consolidant le statut du pays comme un hub de convergence stratégique.

Par ailleurs, le Maroc joue un rôle moteur dans les négociations africaines sur la standardisation des technologies émergentes, en collaboration avec l’Union africaine et des organisations comme Smart Africa. Cette participation proactive vise à promouvoir une gouvernance technologique éthique, souveraine et inclusive, adaptée aux réalités africaines.

Le Royaume a également signé des accords bilatéraux de coopération technologique avec plusieurs pays, dont les Émirats arabes unis, le Sénégal, la France et l’Inde, intégrant l’IA dans les volets de coopération économique, scientifique et éducative. Ces accords visent à mutualiser les expertises, favoriser la co-innovation, et encourager les échanges de startups et de chercheurs.

Enfin, en rejoignant des coalitions internationales telles que Current AI, dotée d’un financement initial de 400 millions de dollars, le Maroc envoie un signal clair : il veut contribuer à l’élaboration des règles du jeu mondiales en matière d’IA, et non simplement les subir.

Vers une souveraineté numérique maîtrisée

L’approche marocaine repose sur un principe clair : développer une IA au service des besoins nationaux, en évitant une dépendance excessive aux géants technologiques étrangers. Cela passe par la localisation des infrastructures (data centers), la montée en compétence des ingénieurs locaux, et la mise en place de cadres juridiques garantissant l’éthique, la transparence et la sécurité des données.

Le gouvernement met également en avant une interopérabilité stratégique : créer des solutions compatibles avec les standards internationaux tout en préservant le contrôle sur les choix technologiques.

Le Maroc avance avec méthode et ambition vers une nouvelle ère technologique. En articulant infrastructures, talents, partenariats et diplomatie, le Royaume ne se contente pas de suivre la révolution de l’intelligence artificielle : il entend en être l’un des architectes en Afrique.

À travers l’IA, le pays bâtit non seulement un pilier de son développement économique, mais aussi un outil de souveraineté, d’influence régionale et de justice sociale. Un pari audacieux — mais de plus en plus crédible.

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