Une succession disputée dans un multilatéralisme fragmenté
La 43ᵉ Conférence générale, qui se tiendra à Samarcande en novembre 2025, choisira le successeur d’Audrey Azoulay. L’entrée tardive mais déterminée de Brazzaville, officialisée quelques heures avant la date butoir du 15 mars, a rompu l’appui africain implicite au ministre égyptien Khaled El-Enany. Cette volte-face souligne la compétition d’influence qui s’exacerbe au sein des institutions onusiennes, alors que les financements occidentaux se resserrent et que les puissances émergentes ambitionnent d’orienter les normes multilatérales.
Le profil de Matoko : d’un technocrate à porte-étendard de la Priorité Afrique
Économiste du développement formé à Rome, Matoko a dirigé jusqu’en janvier le secteur Priorité Afrique et relations extérieures de l’UNESCO. Il y a promu l’alphabétisation numérique des jeunes et tissé des partenariats universitaires Sud-Sud. Déclarant que « le continent ne peut plus demeurer spectateur de la révolution numérique », il mise sur cette expérience interne pour dissiper les doutes qu’inspire une candidature tardive.
Offensive diplomatique de Brazzaville à Pékin
Depuis la mi-mai, le candidat a rencontré vingt-sept délégations permanentes et une quinzaine de ministres de l’Éducation ou de la Culture, de Paris à Hanoï. À Pékin, le 29 mai, il a obtenu le soutien du vice-ministre chinois de l’Éducation, tandis que le chef de la diplomatie congolaise, Jean-Claude Gakosso, assurait aux ambassadeurs à Brazzaville que l’initiative « complète, sans la fracturer, la voix africaine ». Objectif : rallier au moins vingt-neuf des trente-quatre membres du Conseil exécutif, qui n’en retiendra qu’un en octobre.
Le contre-récit du Caire et la diplomatie de pont de Mexico
Fort du parrainage précoce de Paris et du Groupe arabe, le Caire présente El-Enany comme l’option de continuité, s’appuyant sur son passé de ministre des Antiquités. De son côté, la Mexicaine Gabriela Ramos met en avant son passage à l’OCDE et son expertise en matière de genre, séduisant États insulaires et pays en développement à la recherche d’un nouveau pôle Sud-Sud. Cette géométrie tripolaire contraint Matoko à courtiser l’Indonésie, le Chili ou encore la Hongrie, arbitres potentiels des scrutins successifs à bulletin secret.
Enjeux pour l’Afrique et pour la crédibilité de l’UNESCO
Brazzaville promet d’allouer un tiers du budget éducatif de l’Organisation à l’Afrique et de pérenniser les mécanismes de restitution d’artefacts illicitement exportés. Les détracteurs rappellent toutefois la gouvernance domestique contestée du Congo et le retard de ses réformes culturelles. Certains États africains dénoncent enfin une rupture unilatérale du consensus laborieusement négocié à Addis-Abeba en février.
Analyse et perspectives
Il reste quatre mois avant le Conseil exécutif : la réussite de Matoko dépendra de sa capacité à transformer la bonne volonté du secrétariat en engagements étatiques, malgré son démarrage tardif et le réseau consolidé de l’Égypte. Son argumentaire axé sur la transformation numérique africaine séduit pourtant des membres soucieux d’une gouvernance culturelle moins politisée. Même un blocage stratégique pourrait permettre à Brazzaville d’arracher des concessions programmatiques ou un portefeuille de direction. Pour l’UNESCO, l’épisode témoigne de la fragilité — mais aussi de la plasticité — du multilatéralisme à l’heure d’une concurrence Sud-Sud intensifiée.