Diplomatie parlementaire au Maghreb–Sahel : Une nouvelle ère Maroc–Mauritanie

Le premier Forum parlementaire économique Maroc–Mauritanie jette les bases d’un partenariat structurant, articulé autour de la sécurité alimentaire, de l’économie bleue, de la formation professionnelle et d’un climat d’affaires commun, dans une dynamique inédite de coopération Sud–Sud au Maghreb–Sahel.

10 mn de lecture

Réuni à Nouakchott les 9 et 10 mai 2025, le premier Forum parlementaire économique Maroc–Mauritanie a rassemblé plus de deux cents députés, ministres, chefs d’entreprise et experts politiques des deux pays. Pensé comme un instrument durable de diplomatie parlementaire, le forum vise à institutionnaliser la coopération bilatérale, à offrir un appui législatif aux projets économiques conjoints et à créer un cadre résilient face aux chocs géopolitiques sahéliens et aux pressions climatiques. Un communiqué a identifié quatre priorités — sécurité alimentaire, économie bleue, formation professionnelle et facilitation des investissements —, accompagné d’une matrice de suivi en 24 points. Observateurs de l’UE, du Golfe et de l’Union africaine y voient un modèle prometteur d’intégration Sud–Sud, à condition de surmonter les obstacles juridiques, environnementaux et géopolitiques comme le dossier du Sahara occidental.

La diplomatie parlementaire dans un voisinage fragmenté

Le Maghreb–Sahel est l’un des espaces géostratégiques les plus discontinus au monde, où les menaces transnationales — extrémisme violent, migrations irrégulières, insécurité climatique — croisent les rivalités géopolitiques enracinées. Dans ce contexte, l’émergence de la diplomatie parlementaire, c’est-à-dire une coopération structurée entre législateurs élus, mérite une attention particulière. Le forum de Nouakchott illustre cette tendance en mobilisant les parlements pour accompagner — voire anticiper — les agendas des exécutifs. En ancrant la coopération dans un cadre législatif, Rabat et Nouakchott cherchent à inscrire leur rapprochement dans la durée institutionnelle.

D’une frontière ambiguë à un rapprochement pragmatique

Si le Maroc (1956) et la Mauritanie (1960) accèdent tôt à l’indépendance, leurs relations bilatérales sont marquées par l’héritage des découpages coloniaux. En 1975, après le retrait espagnol du Sahara occidental, la Mauritanie en annexe brièvement la partie sud, avant de se retirer sous pression militaire. Une décennie de tensions s’ensuit. Le rapprochement débute dans les années 1990, se consolide avec la reprise des relations diplomatiques en 1999, et s’approfondit durant les années 2010 avec l’intensification des échanges économiques. Le communiqué commun de juillet 2022, qui pose les bases d’un forum parlementaire permanent, incarne le passage d’une cordialité sporadique à une coopération institutionnalisée.

Genèse du forum

L’accord de 2022 a été formalisé lors de la visite du président de la Chambre des représentants du Maroc, Rachid Talbi Alami, à Nouakchott. Les deux assemblées ont convenu de créer un mécanisme parlementaire intégré. Des groupes techniques se sont réunis à Rabat (janvier 2023) puis à Nouakchott (septembre 2023), validant une structure annuelle alternée autour de quatre axes : sécurité alimentaire, économie bleue, formation et climat d’investissement. Côté mauritanien, ce forum est perçu comme un rempart contre l’instabilité politique ; côté marocain, comme un levier de la doctrine “Afrique atlantique” de Rabat.

Points saillants de la session de Nouakchott

La séance inaugurale du 9 mai 2025, au Palais des Congrès, a été présidée conjointement par Talbi Alami et Mohamed Bamba Meguett. Parmi les figures clés figuraient Omar Hejira, secrétaire d’État marocain au Commerce extérieur, qui a proposé un accord de partenariat avancé, et Kodiyouro Moussa N’Guenore, ministre mauritanien du Budget, qui a plaidé pour un développement symétrique.

Les panels ont abordé la réduction des barrières non tarifaires, la numérisation des douanes à Guerguerat et Rosso, ainsi qu’un cadre sanitaire et phytosanitaire harmonisé. Le communiqué final prévoit une matrice de suivi en 24 points et la publication de rapports parlementaires conjoints tous les deux ans.

Dimensions économiques : asymétries et complémentarités

Le commerce bilatéral a atteint 730 millions USD en 2024, avec une nette domination des exportations marocaines (produits agroalimentaires, engrais, textiles) sur les exportations mauritaniennes (minerai de fer, bétail, pêche). Pour corriger ce déséquilibre, le Maroc a ouvert une ligne de crédit de 150 millions USD destinée aux PME mauritaniennes. Simultanément, le fonds souverain de Mauritanie a manifesté son intérêt pour investir dans des start-up marocaines de l’économie bleue, incubées à Dakhla.

D’autres synergies émergent dans le secteur maritime et de l’hydrogène vert : les projets mauritaniens de Tijirit et Boulenouar pourraient se connecter à la stratégie exportatrice marocaine autour de Jorf Lasfar.

Enjeux stratégiques : doctrine atlantique et sécurité partagée

Pour le Maroc, ce forum consolide sa stratégie “Afrique atlantique” annoncée par Mohammed VI en 2023, positionnant Rabat comme passerelle maritime vers le Sahel. Pour la Mauritanie, il représente une ouverture économique et diplomatique dans un environnement régional incertain. La sécurité, bien que discrète dans le discours, était omniprésente : les délégués ont validé une coopération frontalière appuyée sur des drones marocains et un alignement au sein du G5 Sahel, dont la Mauritanie reste membre malgré le retrait de ses voisins.

Défis structurels

Trois écueils majeurs subsistent :

  • Le dossier du Sahara occidental reste sensible ; une partie de la société civile mauritanienne reste favorable au Polisario.
  • Les asymétries juridiques : le Maroc bénéficie d’un droit commercial modernisé, alors que la Mauritanie peine à réformer son système judiciaire.
  • La vulnérabilité climatique : la désertification frappe les zones pastorales mauritaniennes, tandis que le Maroc subit une sécheresse historique.

La création d’un Observatoire parlementaire vert évaluera les impacts écologiques des projets conjoints.

Architecture institutionnelle et égalité de représentation

Le Maroc dispose d’un Parlement bicaméral, à la différence de la Mauritanie. Pour garantir un équilibre, le bureau du forum repose sur une règle “deux-par-deux”, avec une représentation égale des deux chambres marocaines et de l’Assemblée mauritanienne.

Résolution des différends commerciaux

Un volet juridique important vise la reconnaissance mutuelle des sentences arbitrales, inspiré du modèle UNCITRAL. Un programme de formation pour magistrats mauritaniens à la Cour d’appel commerciale de Casablanca est en cours.

Capital humain et mobilité des compétences

Les deux pays ont validé un programme de bourses pour étudiants mauritaniens dans les instituts maritimes marocains. L’OFPPT ouvrira un campus à Nouakchott, dédié à l’agritech et la logistique du froid.

Corridors logistiques

Le poste frontalier Guerguerat–Nouadhibou, unique route goudronnée, souffre de congestion : jusqu’à 16 km de file pendant la saison des tomates. Un projet d’autoroute à double voie, financé par un partenariat public-privé émirati, a été proposé par l’Office national des routes marocain. La Mauritanie projette un port sec à Boutilimit.

Alignement avec l’AfCFTA

Les deux États, signataires de la ZLECAf, doivent encore harmoniser leurs normes. Le forum a décidé de créer un observatoire conjoint pour suivre l’alignement avec les règles continentales, afin d’éviter la fragmentation réglementaire.

Diplomatie de l’économie bleue

La gestion durable des pêches est prioritaire. Un caucus parlementaire atlantique sera créé au Parlement panafricain. Objectif : imposer un moratoire régional sur la pêche industrielle en période de frai et appliquer l’accord FAO sur les mesures du port.

Diplomatie culturelle

L’Institut royal de la culture amazighe du Maroc numérisera les manuscrits hassaniyas mauritaniens. Le Conservatoire national de Nouakchott lancera un festival musical saharien tournant entre Chinguetti et Essaouira.

Acteurs extérieurs

L’UE considère ce forum comme test stratégique pour son initiative Global Gateway (150 milliards EUR en Afrique). Des fonds souverains du Golfe s’intéressent à l’hydrogène ; les États-Unis notent l’alignement avec leur programme Build Africa Resilience. L’enjeu : éviter la dispersion des priorités.

Suivi et évaluation

La matrice de suivi prévoit :

  • Réduction des délais douaniers de 17 à 6 heures d’ici 2027
  • Hausse des licences d’import mauritaniennes à 10 %
  • Quatre programmes académiques conjoints
  • Réduction de 20 % de la pêche illégale

Un secrétariat basé à Nouakchott publiera des rapports semestriels.

Genre et croissance inclusive

Les femmes représentent 43 % de la main-d’œuvre agricole en Mauritanie mais détiennent moins de 12 % des titres fonciers. Un événement parallèle a appelé à des financements préférentiels pour les PME dirigées par des femmes.

Transformation numérique et cybersécurité

Les deux pays ambitionnent de devenir des hubs numériques. Le Maroc via le calcul quantique à Ben Guerir, la Mauritanie grâce au câble sous-marin 2Africa. Une clause d’assistance mutuelle en cas de cyberattaque est envisagée.

Perspectives

Parmi les jalons à venir :

  • Première publication du tableau de bord en septembre 2025
  • Ratification parlementaire du fonds de bourses en novembre
  • Lancement d’un portail e-douane pilote en janvier 2026

Le forum de Nouakchott dépasse la diplomatie symbolique : il incarne un pari stratégique sur le rôle des parlements dans l’intégration Sud–Sud. En triangulant les enjeux économiques, sécuritaires et culturels, Rabat et Nouakchott montrent qu’un partenariat durable est possible — même dans une région marquée par l’instabilité.

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